11 juillet 2013

L'histoire improbable du glaçon qui distribuait son programme electoral dans un ossuaire




Dans la pénombre glaciale d’une salle de pierre se réverbère l’écho d’une voix.

— « Votez frais, votez Glaçon ! »

Sur un rebord rocheux, arpentant l’enclave servant de dernier lit aux corps défunts, se tient un glaçon agitant du bout de son bras gelé un tout petit prospectus.

— « Contre le réchauffement climatique, une seule solution, Glaçon ! »

Sans perdre courage, le jeune glaçon saute d’alcôve en renfoncement, frôlant les ossements immobiles, pour s’enfoncer plus profondément dans la fraicheur de l’ossuaire tout en continuant ses interpellations.

— « Un avenir chaleureux se fera toujours avec Glaçon »

Mais, alors qu’il passait à côté d’une dépouille dont les os blanchis semblaient être marqués d’une jeune éternité, une voix s’éleva.

— « Mais, quel est le givré qui braille comme ça ! Je n’ai pas choisi le grand sommeil pour être réveillé à l’aube. »

Le glaçon se retourna, tout heureux d’entendre enfin un écho à ses appels, même si, dans ce cas précis, la réponse était plus de nature à le faire taire. Il s’approcha du corps contrarié, et après l’avoir observé un instant s’exclama.

— « Monsieur … » s’arrêta-t-il avant de reprendre « ... ou Madame ! Désolé, je ne vois pas bien d’où je suis.

— Mademoiselle, le coupa sèchement la carcasse desséchée.

— Évidemment, ricana nerveusement le glaçon, sentant le silence glacial envahir la pièce. Navré de troubler votre éternel repos. Mais, avez-vous déjà pensé à votre avenir ! »

La carcasse aurait haussé des épaules, s’il y avait eu quelqu’un pour l’épauler

— « Vous savez, pour moi, l’avenir est tout tracé. Dans ma branche, la plupart du temps, on finit au fond du trou. Il y a bien quelques chanceux qui arrivent à bruler les planches, mais ça tourne vite au gaz, en un instant le feu de joie se transforme en feu de paille, et il n’y a jamais personne pour applaudir.

— Ne dites pas cela ! La société vous colle des étiquettes aux pieds et vous enferme dans une voie sans issue. Mais en choisissant un représentant, qui ne craint pas de se noyer, sur qui l’on peut compter lorsque les sujets brulants sont sur la table, cela peut changer.

— Quelqu’un tel que vous ? »

Le glaçon prit du volume et bomba le torse, avant d’entonner d’une voix claire comme de l’eau de roche son slogan :

— « oui, moi ! Justin Glaçon, le glaçon qu’il vous faut ! »

La dépouille recroquevillée sembla gênée aux entournures.

— « Mais vous êtes sûr d’être au bon endroit ? Car, comment dire …

— Je sais, on m’avait prévenu que c’était un peu mort ici ! Mais il faut aller chercher les voix, qu’importe où elle se trouve. »

La revenante n’en revenait pas. La convection du glaçon forçait à l’admiration. Il était sûr d’être à sa place comme la carotte au milieu de la figure.

— « Je comprends bien, mais vous savez, la politique, pour la majorité de ceux des environs, ça les laisse sous le marbre. Ils ne vont pas se lever pour aller voter.

— Il ne faut pas dire cela ! Il n’y a pas si longtemps, à Paris, les morts se sont levés en masse pour aller défendre leur candidat.  Et les élections de Zambie, bon, je vous l’accorde, ils avaient mal compris, mais la mobilisation était là !

— Admettons, mais pourquoi on se mettrait en marche pour vous ? Votre adversaire a peut-être de meilleurs arguments ! »

Le glaçon se monta en neige.

— Quoi ! Mais, vous voulez que je vous parle de la réfrigérée Brigitte Frigo et de ses partisans anti mélange pour tous. Ceux-là, ils n’ont pas froid aux yeux. Mais avec elle, mademoiselle, mais vous resterez dans la bière. Car c’est ce qu’elle prône ! Les bières avec les bières, les alcools ensemble, et la séparation du vin rouge et du vin blanc. Mais, moi je dis, la vie est une fête, faisons des cocktails ! »

Sentant l’eau tourner au vinaigre, elle tenta alors de briser la glace, en changeant de sujet.

— « je constate que vous êtes un fondu de politique. D’où vous vient cette passion brulante ? »

            Justin se refroidit un peu, et d’une voix limpide lui répondit.

— « Depuis, tout petit déjà, alors que je n’étais que l’eau de moi-même. Je souhaitais servir mon prochain.

— Mais n’est-ce pas le propre des glaçons que d’être au service ?

— C’est ce que me répétait ma mère. Elle souhaitait que j’essuie les traces de mon père, en le rejoignant au bar. À l’époque, je trouvais que c’était un seau métier, et je ne voulais pas plonger dans le bain. Je ne me voyais pas refaire le monde au fond d’un verre.

— Je vous comprends, je n’ai jamais apprécié les vers au fond.

— Alors, comme je ne voulais pas entrer dans le moule, je me suis formé moi-même. Bien sûr après être passé par le bac et mes études en poche. Ça n’a pas été facile, j’ai longtemps été en froid avec mes parents. Mais avec le temps, ils ont laissé glisser. »

            Les restes restants du sujet d’anatomie se mirent à frémir. Quelque chose se réveillait en elle, comme une douce chaleur oubliée depuis trop longtemps.

— « Je constate que vous en parlez avec beaucoup d’émotion, vous êtes sur le point de fondre en larmes.

— Veuillez m’en excuser, ce n’est pas digne de quelqu’un qui vise les plus hauts sommets.

— Au contraire, je vous trouve craquant !

— Vous me réchauffer le cœur, je sens la chaleur me monter aux joues.

— C’est vous qui pourriez me réchauffer, je me sens si seule ici. »

            Justin se mit à ruisseler à gros bouillon. Une véritable cascade s’écoulait de son front. Il demanda alors timidement.

— « N’essayeriez-vous pas de m’allumer par hasard.

— Je n’y peux rien, de mon vivant j’étais assez chaude. J’avais souvent 37.2 le matin et la fièvre le samedi soir. Les hommes de pouvoirs me collaient à la peau. Maintenant, il me reste moins que la peau sur les os et je n’ai même plus d’yeux pour pleurer. »

            Attendri, Justin vérifia son haleine de menthe à l’eau, et s’approcha religieusement de la mante religieuse. La sulfureuse carcasse l’attendait, lascivement étendue. Il l’enlaça alors dans une torride étreinte avant de se rependre en quelques gouttes en une flaque humide.
La morte se morfondit alors :

— « Et voilà ! Encore un qui se barre en me laissant toute mouillée ! »

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